RISORGIMENTO

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RISORGIMENTO

Après avoir connu la gloire de l’Empire romain, puis la primauté de l’Italie pontificale du Moyen Âge, l’élite de la péninsule aspire, au XIXe siècle, à la réalisation de la «troisième Italie». Le Risorgimento (de risorgere : resurgir) répond, dans le domaine national, au Rinascimento , la Renaissance culturelle du XVIe siècle. Popularisé à la fin du XVIIIe siècle par le dramaturge Alfieri, le terme de Risorgimento exprime l’attente du jour où l’Italie, «désarmée, divisée, avilie, enchaînée, impuissante, resurgira vertueuse, magnanime, libre et unie». C’est d’abord une idée-force, une prise de conscience politique et morale qui plonge ses racines dans le réformisme éclairé du XVIIIe siècle. La Révolution française, à travers les «républiques sœurs» du Directoire, puis l’Empire napoléonien, met l’Italie à l’école du libéralisme bourgeois, détruit partiellement l’Ancien Régime et renforce le sentiment national, dans une première expérience de vie commune. Le Risorgimento romantique de la première moitié du XIXe siècle est dû à l’action d’une minorité de patriotes qui, par des complots et des séditions, tentent, sans succès, de renverser l’absolutisme et l’hégémonie autrichienne, restaurés en 1815. L’échec tumultueux de la révolution de 1848, la ruine des espérances néo-guelfes d’une régénération sous l’égide d’un pape libéral, la faillite de l’unitarisme républicain et démocratique de Mazzini ouvrent la voie au réformisme modéré et à la maison de Savoie. Cavour prépare le Piémont à l’action, répudiant la «politique du poignard» et s’efforçant d’insérer la question italienne dans la politique européenne. Il mène de front l’apprentissage du libéralisme parlementaire et le développement économique. Mais la rupture de l’ordre ancien ne peut se faire qu’avec le consensus diplomatique des puissances amies (France et Grande-Bretagne) et grâce à l’aide militaire massive consentie par Napoléon III. Après des succès rapides entre 1859 et 1861, le Risorgimento bourgeois et piémontais, s’engageant dans le processus unitaire, brise les tentatives démocratiques et les initiatives sociales de Garibaldi, libérateur du Mezzogiorno, qu’il neutralise et rallie à la solution monarchique. Après la mort de Cavour, l’unité s’enlise dans l’impasse de la question romaine. Le jeune royaume, aux assises populaires étroites, dont l’économie est encore arriérée et précaire, demeure dans la dépendance financière et diplomatique de l’étranger. L’achèvement laborieux du Risorgimento politique, par la prise de Rome en 1870, laisse inaccompli le Risorgimento économique et social: la monarchie parlementaire, forgée par la génération de 1860, ne résistera pas, après un demi-siècle de vie unitaire, à la montée de la subversion fasciste.

1. L’héritage du siècle des Lumières

La naissance d’une conscience nationale

Malgré la fragmentation politique de la péninsule, placée depuis les traités de 1713 sous l’hégémonie autrichienne, le XVIIIe siècle fait circuler une culture largement influencée par les penseurs français et britanniques. L’Italie peut ainsi s’insérer dans le vaste mouvement des Lumières qui, dans l’ensemble du continent, cherche à remédier à l’inadaptation de l’Ancien Régime aux nouvelles conditions sociales. Des expériences particulièrement réussies de despotisme éclairé s’effectuent dans les États contrôlés par l’Autriche et à Naples. Le toscan, promu au rang de langue de culture, est le véhicule d’une abondante littérature, essentiellement tournée vers les sciences politiques, l’économie et le droit. Imbus des doctrines jansénistes, les réformateurs rêvent de monarchies autoritaires, contrôlant le pouvoir temporel de l’Église, appliquant la tolérance et la raison à l’art de gouverner et recherchant, dans une vue un peu abstraite et ingénument optimiste du progrès, «le maximum de bonheur pour le plus grand nombre des peuples».

Les milieux éclairés, qui se recrutent dans le patriciat et la bourgeoisie des villes, collaborent avec les souverains, mais la masse des Italiens, aux prises avec une paupérisation croissante, reste à l’écart de ce mouvement intellectuel. La législation «illuministe», de caractère empirique et pratique, avait, dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, à la fois renforcé l’absolutisme et atténué l’archaïsme de l’Ancien Régime et le poids du système féodal. Mais, devant la crise qui aboutira à la révolution de 1789, les monarques italiens avaient arrêté le cours des réformes et étaient revenus à des positions conservatrices.

L’Italie jacobine et napoléonienne

Les deux décennies de présence française en Italie ont été décisives dans le cours du Risorgimento. Lorsque le Directoire intervient et détrône, par la force des armes, les souverains absolutistes, il trouve sur place des Jacobins, anciens adeptes du réformisme, qui fournissent le personnel politique et administratif des «républiques sœurs». Le triennio républicain (1796-1799) donne à l’Italie ses couleurs nationales – le tricolore vert, blanc, rouge – et l’essentiel des acquisitions de la Révolution française. L’égalité civique, l’abolition des privilèges, la vente des biens d’Église, la gestion des affaires publiques à travers le suffrage censitaire renforcent la position d’une bourgeoisie de notables. Ces derniers n’adhèrent qu’en petit nombre au jacobinisme extrémiste qui inspire la doctrine de Buonarotti, disciple de Babeuf, dont l’égalitarisme est une sorte de communisme rudimentaire. Dans leur majorité, ils sont prêts à se rallier au césarisme de Napoléon. Après la parenthèse du Consulat, où les délégués italiens offrent à Bonaparte la présidence de la République italienne, l’empereur, par remaniements successifs, réorganise la péninsule dans le cadre du «système familial». En 1810, au moment de l’apogée napoléonien, une simplification considérable de la carte politique a été opérée: le Piémont, la Ligurie, la Toscane, le Latium ont été annexés à la métropole, Murat est roi de Naples et Napoléon roi d’Italie. Ce royaume de six millions d’habitants, groupant autour de Milan, sa capitale, plus du tiers de la population totale, a son administration, son armée, son drapeau, et, pour la première fois, un État de la péninsule porte le nom d’Italie. Les départements transalpins, dotés de codes et de lois calqués sur ceux de la France, font l’apprentissage d’une vie administrative commune, à l’école des préfets et des hauts fonctionnaires, appliquant des directives centralisatrices. D’autres forces d’assimilation agissent: l’armée, qui façonne un type d’officier patriote; le Blocus continental, qui intègre l’économie à un vaste ensemble territorial; les grands travaux routiers et portuaires, qui facilitent les échanges intérieurs. Bien que les dynasties régnantes soient étrangères, en dépit du poids de la fiscalité et de la conscription militaire et malgré la sourde hostilité des masses rurales du Mezzogiorno, pour la première fois les Italiens ressentent un sentiment national qui, dépassant le stade théorique des réformistes, s’exprime dans une réalité étatique. La période française leur apparaît comme une étape, encore imparfaite, vers la complète indépendance et la souveraineté nationale.

2. Le Risorgimento romantique

Les traités de 1815 replacent l’Italie dans l’état territorial d’avant 1792 et l’absolutisme est restauré, sous la tutelle de l’Autriche.

Les sociétés secrètes

Derrière la façade de la réaction metternichienne, l’élite des patriotes n’a pas renoncé à son idéal. Comme l’opposition directe ou la polémique ouverte sont impossibles, ils agissent sur deux fronts: la culture et l’action clandestine des sociétés secrètes et des complots.

Pendant la première moitié du XIXe siècle, les intellectuels italiens posent le débat libéral et national en face de la réaction conservatrice catholique, dont le porte-parole est Joseph de Maistre. Jusque vers 1830, ils s’expriment dans les revues littéraires ou économiques, diffusant des thèmes historiques, traitant de sujets pratiques d’agronomie et s’inspirant du libéralisme bourgeois de Mme de Staël. Ainsi le groupe milanais du Conciliatore, avec Silvio Pellico, Berchet Federico Confalonieri; ainsi le cénacle florentin de l’Antologia, avec Vieusseux, Tommaseo, Capponi et Sismondi. Leur action en profondeur a été considérable sur la formation des hommes qui, à la génération suivante, réaliseront l’unité.

Les masses populaires avaient accepté avec indifférence la Restauration. Une opposition se fit jour chez un certain nombre d’aristocrates, de prêtres libéraux et, surtout, parmi les anciens fonctionnaires et officiers «nostalgiques» de l’Italie napoléonienne. Sur le modèle de la franc-maçonnerie, ils se groupèrent en sociétés secrètes, comme celles des carbonari et des federati piémontais et lombards. La culture politique des membres des sectes était passablement sommaire et se bornait, le plus souvent, à une haine violente de l’absolutisme et de l’Autriche. Jusqu’en 1830, ils animèrent une série de mouvements séditieux, isolés et sans lien, tous voués à l’échec.

Les révolutions de 1820-1821

La révolution espagnole de 1820 inspira les tentatives italiennes du Ventuno. Elles débutèrent à Naples, en juillet 1820, avec la révolte des officiers carbonari qui, sous la conduite du général Pepe, imposent une Constitution. En mars 1821, les aristocrates libéraux du Piémont, San Marzano, Collegno, La Cisterna, Santorre di Santarosa, liés à la Charbonnerie lombarde, soulèvent les garnisons d’Alexandrie et de Turin. Le faible Victor-Emmanuel Ier abdiqua et, en l’absence de l’héritier du trône, son frère Charles-Félix confia la régence au prince Charles-Albert, issu de la branche cadette des Carignan. Ce dernier avait gagné la confiance des conjurés et, dans un premier temps, il accorda une Constitution. Mais le bloc des puissances de la Sainte-Alliance passa à la contre-attaque. Aux congrès de Troppau et de Laybach, Metternich se fit donner mandat pour intervenir. Pepe fut écrasé à Rieti par les Autrichiens (7 mars 1821). En Piémont, Charles-Albert abandonna les libéraux – qui lui reprocheront amèrement sa trahison – et il se mit aux ordres de Charles-Félix, qui abolit la Constitution et appela l’intervention autrichienne. Le 8 avril, les «constitutionnels» étaient battus à Novare. À Naples comme en Piémont, la répression s’abattait sur les chefs du Ventuno, condamnés ou exilés. Le triomphe de la Sainte-Alliance fut renforcé par l’action menée contre les carbonari dans le Lombard-Vénitien et les Légations pontificales, entre 1820 et 1824. Maroncelli, Confalonieri, Pellico furent emprisonnés dans la forteresse du Spielberg, en Moravie. Pellico, après sa libération, raconta sa captivité dans un livre, Le Mie Prigioni (1832), qui fit le tour de l’Europe et donna aux patriotes l’auréole du martyre.

Les mouvements de 1830-1831 et leurs conséquences

Après 1823, le front conservateur fut affaibli par l’éloignement de l’Angleterre libérale, l’indépendance de la Grèce et la sécession des colonies espagnoles d’Amérique. Après les révolutions française et belge de juillet 1830, les monarchies de droit divin cèdent la place à des royaumes constitutionnels. Le Risorgimento trouve un puissant renfort dans l’enthousiaste génération romantique qui, en politique comme en art, revendique l’affranchissement des contraintes. Encouragés par la déclaration de «non-intervention» de Louis-Philippe, les patriotes de l’Italie centrale passent à l’action. À Modène, où Menotti et Misley ont eu des contacts avec le souverain François IV, les carbonari échouent, mais l’insurrection gagne Parme, où règne Marie-Louise, puis tous les États du pape Grégoire XVI, jusqu’aux abords de Rome. En février 1831, la subversion se rallume à Modène. Les monarques des duchés s’enfuient et un gouvernement provisoire proclame les Provinces unies italiennes. Mais, dès mars 1831, la réaction se déchaîne, venue de Vienne, avec l’acquiescement d’une France désormais ralliée au parti de l’ordre. Les régimes déchus sont restaurés et les révolutionnaires traqués. La répression est particulièrement vive dans les Légations pontificales où elle suscite, en 1832, de nouveaux troubles qui provoquent l’envoi de troupes d’occupation autrichiennes et d’une garnison française à Ancône.

Les conspirations au grand jour. Les écrits politiques

Entre 1831 et 1848, le mouvement national s’approfondit et s’élargit. La faillite de la Charbonnerie condamne le mouvement, qui disparaît comme force agissante. Le Risorgimento s’enrichit de l’expérience européenne des proscrits qui, en France, en Suisse, en Belgique, en Angleterre, observent les débuts de la révolution industrielle et le fonctionnement des régimes parlementaires. Dans la péninsule, romantisme et politique sont étroitement liés, avec le réveil de la science historique, la littérature exaltant les souvenirs du passé national, la musique de Rossini et de Verdi. Le contenu idéologique se diversifie en programmes éthico-politiques qui proposent des solutions à la question italienne.

On peut distinguer trois grandes orientations. Giuseppe Mazzini est le leader du républicanisme unitaire. Ancien carbonaro , précocement exilé, il fonde la Giovane Italia et élabore le plan d’une Europe fondée non sur la liberté des individus, conquise sous la Révolution française, mais sur une association des nations. Il assigne à la «Troisième Italie», républicaine et unitaire, la mission de guider les peuples du continent vers la régénération et la «Giovane Europa». Le moyen d’action est l’insurrection des masses. Théoricien austère, moraliste qui place le progrès des consciences au-dessus de la satisfaction des revendications sociales, Mazzini ne tient pas compte des conditions de vie de la population italienne, ignorante, indifférente, qui parfois même coopère avec les forces de la réaction. Il lance une série d’insurrections, qui toutes échouent: à Gênes, en 1833; contre la Savoie (Ramorino), en 1834; dans le Lombard-Vénitien, en 1835; dans les Légations, en 1845. Après 1837, la Giovane Italia porta ses efforts sur les États du pape et le royaume de Naples, les plus rétrogrades de la péninsule, mais les moins préparés aussi à accueillir les incitations démocratiques et républicaines. Les mouvements se succèdent, des Abruzzes à la Calabre, jusqu’au martyre des frères Bandiera, en 1844. Les milieux de la bourgeoisie libérale se détournèrent alors de Mazzini et commencèrent à rechercher une politique nationale qui ne passât pas par la révolution.

Le courant néo-guelfe (du nom des partisans médiévaux de l’hégémonie pontificale) cherche à réconcilier religion et idée nationale, dans l’ambiance du catholicisme libéral. Le pape, autorité morale et médiateur entre les États, inspirera et guidera le fédéralisme italien. C’est le thème des Nuove Speranze d’Italia de Tommaseo (1836) et, surtout, du livre de l’abbé piémontais Gioberti, le Primato morale e civile degli Italiani (1843).

Une troisième tendance, doutant des possibilités d’un Risorgimento par des papes acquis à la réaction, défend l’idée d’une fédération dirigée par le roi de Sardaigne. C’est la thèse de Cesare Balbo dans les Speranze d’Italia (1844), de Massimo d’Azeglio dans son livre Degli ultimi casi di Romagna (1846), du général Durando exhortant ses compatriotes, dans son Saggio politico e militare della nazionalità italiana , à renoncer à l’évocation nostalgique et littéraire des temps passés, pour se mettre à l’école économique et militaire des pays développés de l’Europe occidentale. Peu à peu s’affirme, chez les modérés, la conviction que le Risorgimento doit aller de pair avec l’élévation du niveau civique et économique, sous l’impulsion de la bourgeoisie d’affaires, dans un État constitutionnel où le suffrage censitaire donne le pouvoir au «pays légal». Les congrès scientifiques, réunis de 1839 à 1847, sont un terrain de rencontre pour l’élite modérée qui discute d’économie politique, de science appliquée, de législation sociale, conditions préalables à l’unification nationale. Dans son essai Sulle strade ferrate d’Italia (1846), Cavour assigne au rail la fonction de réunir les différentes parties de la péninsule. Le modérantisme, néo-guelfe ou piémontais, n’entrevoit encore que confusément un programme unitaire et imagine une Italie de monarchies fédérées. Ses positions se renforcent avec le premier et modeste «décollage» économique et relèguent à un rang mineur le patriotisme anticlérical des néo-gibelins, Niccolini et Guerrazzi, et le fédéralisme républicain de Ferrari et Cattaneo.

3. L’échec de 1848

La péninsule participe à la grande vague européenne du «printemps des peuples», mais les caractères du mouvement italien sont particulièrement complexes. Le néo-guelfisme est à son apogée après l’élection, en 1846, du pape Pie IX (Mastai Ferretti) qui passe pour libéral. Sous la pression des modérés, tous les souverains consentent à des réformes qui, dans la législation et la presse, atténuent l’absolutisme. En novembre 1847 est instituée une ligue douanière entre le Piémont, la Toscane et les États pontificaux.

L’insurrection séparatiste de Sicile, qui éclate le 12 janvier 1848, avant la révolution parisienne, prélude à l’octroi de Constitutions à Naples, en Toscane et en Piémont où Charles-Albert promet, le 8 février, et promulgue, le 4 mars, le Statuto fondamentale . La chute de Louis-Philippe relance le mouvement italien qui, à la faveur de la crise révolutionnaire européenne et des embarras de l’Autriche, passe du réformisme à la lutte pour l’indépendance. Les Cinq Journées de Milan (18-22 mars) libèrent la Lombardie, et Manin soulève Venise. Du 24 mars au 30 mai, c’est la phase montante de la croisade anti-autrichienne. Charles-Albert prend l’offensive, soutenu par des contingents et des volontaires venus de tous les autres États, et une série de victoires (Goito, Pastrengo, Peschiera) le porte jusqu’aux confins de la Vénétie. Les buts de guerre du Piémont, où le roi poursuit essentiellement les visées territoriales de sa dynastie, restent équivoques. Les monarchistes modérés et les républicains démocrates sont désunis. Dès juillet, le reflux général des révolutions en Europe amorce le déclin du Quarantotto. Les souverains, effrayés, abandonnent la coalition. Le mythe néo-guelfe s’écroule et le front national se brise, ce qui facilite la contre-offensive de l’Autriche, qui a jugulé sa propre révolution. Charles-Albert est arrêté devant Mantoue; battu à Custoza (23-25 juill.), il signe, le 9 août, l’armistice et se retire derrière ses frontières, abandonnant les territoires qui avaient voté leur fusion avec le Piémont.

De l’été 1848 au printemps 1849, la révolution, étouffée partout ailleurs en Europe, se prolonge en épisodes tumultueux, sur la toile de fond d’une profonde crise économique et sociale. Une poussée démocratique donne le pouvoir aux républicains, dans les États du pape et en Toscane, abandonnés par leurs souverains. En Piémont, Gioberti et les libéraux gouvernent dans l’instabilité ministérielle, puis sont débordés par Rattazzi et l’aile extrême, qui poussent à la reprise de la guerre. Charles-Albert s’y résigne, mais est écrasé à Novare le 23 mars 1849 et abdique. La réaction triomphe dans tous les États, sauf en Piémont où Victor-Emmanuel II maintient la Constitution. À Rome, défendue par Garibaldi et gouvernée par le triumvirat Mazzini-Armellini-Saffi, les puissances catholiques et conservatrices veulent restaurer Pie IX, désormais passé résolument dans le camp réactionnaire. La France (IIe République de Louis Napoléon Bonaparte) intervient, le 24 avril, et s’empare de Rome, où elle laisse une garnison, le 4 juillet. Le 23 août, Venise, dernier bastion de la lutte nationale, capitule.

4. La formation du royaume d’Italie (1850-1861)

Cavour et la «décennie de préparation»

Avec d’Azeglio, puis Cavour, président du Conseil le 4 novembre 1852, le Piémont se prépare à la reprise de la lutte. La politique des conjurations est révolue, avec la condamnation des «martyrs de Belfiore», à Mantoue, en 1852-1853. Le mazzinianisme, comme autrefois la Charbonnerie, passe au second plan comme moteur du Risorgimento en dépit d’ultimes tentatives, à Milan en 1853 et à Sapri en 1857, avec le sacrifice de Pisacane. Cavour, appuyé sur la majorité (souvent précaire) du Connubio, «mariage» entre le centre droit et le centre gauche, met en œuvre le programme de rénovation économique et civique des modérés. Il développe l’économie, par la construction des chemins de fer et le libre-échange, laïcise en partie l’État, modernise l’armée, grâce à La Marmora. Le Piémont entre dans le «concert européen» par sa participation, en 1854, à la guerre de Crimée, aux côtés de la France et de l’Angleterre, puis au congrès de Paris (1856), où Cavour pose la question italienne. Réaliste lucide, il sait que seule une aide militaire massive peut permettre l’indépendance. Il la trouve auprès de Napoléon III, que son hérédité et son passé de carbonaro attachent au Risorgimento. Turin et le Piémont deviennent le centre de ralliement des patriotes de toute l’Italie, partisans de l’idée nationale que définit l’école juridique de Mancini et que popularise la Società nazionale italiana, fondée en août 1857.

La troisième guerre d’indépendance

À l’entrevue de Plombières (20-21 juill. 1858), Cavour exploite les dispositions favorables de l’empereur, que l’attentat d’Orsini a décidé à agir en Italie. Une alliance militaire franco-sarde est scellée, qui sera signée le 28 janvier 1859, et on esquisse une réorganisation de la péninsule, libérée de l’Autriche et fédérée en trois grandes entités: un royaume piémontais de la Haute-Italie, «des Alpes à l’Adriatique», les États du pape et le royaume de Naples. La guerre éclate le 26 avril et l’offensive des alliés, après les victoires de Montebello, de Palestro, de Magenta (4 juin) et de Solferino-San Martino (24 juin), aboutit à l’occupation de la Lombardie. Mais Napoléon III, inquiet des réticences de l’opinion française et de la menace prussienne sur le Rhin, arrête brusquement la campagne, par les préliminaires de Villafranca (11 juill.) qui prévoient la cession de la Lombardie au Piémont. Cavour n’accepte pas, démissionne, et la France ne réclame pas la Savoie et Nice, compensations prévues à Plombières. Entre-temps, des mouvements nationaux ont éclaté dans les Marches et l’Ombrie pontificales, ainsi que dans les duchés, d’où les souverains sont chassés. Les gouvernements provisoires modérés demandent l’union au Piémont. Il apparaît bien vite que les stipulations de Villafranca, transformées en paix à Zurich (10 nov.), seront inexécutables dans leurs clauses de restauration des monarques détrônés. Cavour, de sa retraite, attise les revendications nationales, par le canal de la Società nazionale italiana.

Revenu au pouvoir, le 16 janvier 1860, il fait procéder aux plébiscites d’annexion en Italie centrale et dans les Légations pontificales (11-12 mars). Il obtient le consentement de la France, par la cession de Nice et de la Savoie (traité de Turin du 24 mars et plébiscites des 15 et 22-23 avr.). Le 5 mai, Garibaldi, l’un des chefs du parti d’action, de dérivation mazzinienne, lance une expédition contre la Sicile, avec la complicité tacite de Cavour. Il s’empare de l’île, passe sur le continent et arrive à Naples, le 7 septembre. Au milieu d’une grande confusion, il agite des projets de réformes démocratiques et sociales et annonce son intention de marcher sur Rome. Les puissances s’alarment, tout comme Cavour, menacé de perdre l’initiative du mouvement unitaire. Avec l’acquiescement de Napoléon III, le Piémont fait entrer des troupes dans les Marches et l’Ombrie pontificales. Les soldats de Pie IX sont dispersés à Castelfidardo (18 sept.) et les troupes sardes se portent au-devant de Garibaldi. L’épreuve de force est évitée et le chef des Chemises rouges s’efface devant Victor-Emmanuel II, le 7 novembre. Des plébiscites sanctionnent l’annexion du royaume de Naples (23 oct.), de l’Ombrie et des Marches (4 et 5 nov.). Le 18 février 1861, à Turin, le premier Parlement national proclame Victor-Emmanuel II roi d’Italie. Le 6 juin 1861, Cavour meurt brusquement, à cinquante et un ans.

Dernières réunions: Venise (1866) et Rome (1870)

Après la mort de Cavour et les amples succès de 1860, «l’année admirable», le Risorgimento marque un temps d’arrêt. L’unification est bloquée par la question romaine, car Napoléon III, violemment attaqué par les catholiques français, maintient le corps d’occupation à Rome, pour préserver le pouvoir temporel de Pie IX, qui refuse tout accommodement avec le royaume d’Italie. Les successeurs de Cavour, représentants de la droite historique, dont les cabinets se succèdent rapidement (Ricasoli, Rattazzi, Farini, Minghetti, La Marmora, Menabrea, Lanza), organisent une monarchie centralisée et bureaucratique, sur le modèle français. Mais ils sont confrontés à une grave crise économique et financière et aux griefs contre la «piémontisation de l’Italie», qui suscite le brigandage dans le Sud. Pour lever l’hypothèque de la question romaine, la France conclut la convention du 15 septembre 1864, qui prévoit l’évacuation de Rome, moyennant l’installation de la capitale à Florence et la promesse de respect du territoire pontifical. Napoléon III, en 1866, s’entremet pour faire conclure une alliance italo-prussienne contre l’Autriche: le royaume, malgré les défaites de Custoza (24 juin) et de Lissa (20 juill.), reçoit la Vénétie, après plébiscite (21 et 22 oct.). Garibaldi exploite le mécontentement national et attaque Rome. Il est arrêté à Mentana par les Français (3 nov. 1867) et Rome est réoccupée. Après le début de la guerre franco-allemande et les premiers revers français, le corps d’occupation est rappelé. L’Italie dénonce la convention de 1864 et fait marcher ses troupes sur Rome, qui est prise et annexée, après plébiscite, le 2 octobre 1870, puis proclamée capitale du royaume.

L’unité est accomplie, à l’exception des villes de Trente et de Trieste, terres irredente , qui ne seront rattachées au pays qu’en 1919. Le Risorgimento a établi un État libéral, qui a éludé la question sociale. Comme l’avait prophétisé d’Azeglio, «l’Italie est faite, il reste à faire des Italiens». Le Risorgimento bourgeois, «révolution inaccomplie», ne pourra y parvenir, et les déficiences de l’État unitaire préparent, à long terme, le succès du fascisme.

Risorgimento
(mot ital. signifiant résurrection) le mouvement nationaliste, idéologique et polit. qui aboutit à la formation de l'unité italienne (1859-1870).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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